Certains de ces laboratoires, aux États-Unis, vont amener aux premiers pas de l'informatique musicale. En 1956, Lejaren A. Hiller et Léonard M. Isaacson mettent en place un procédé de composition automatique assisté par ordinateur, au sein de l'Université de l’Illinois. Le langage utilisé est celui que la musique occidentale a alors en grande partie abandonné dès le début du siècle: le langage tonal, reposant sur les hauteurs et leur consonance harmonique, pôles stables principaux qui résolvent les tensions suscitées par les dissonances. La musique s'est orientée entre-temps sur d'autres paramètres, essentiellement ceux de la matière sonore. Étrange paradoxe que de tester ces technologies ầ la pointe de la recherche sur un langage musical du passé. On le connaît bien, et l'on peut ainsi y expérimenter les choses les plus complexes sans S'aventurer encore dans des voies trop hasardeuses. Hiller compose une pièce pour quatuor à cordes en quatre parties, Illiac Suite, générée automatiquement par les algorithmes programmés dans l'ordinateur. Le changement n'est pas toujours frontal.
En France, un peu après Hiller (en 1959), Pierre Barbaud est aussi un pionnier de la musique assistée par ordinateur. Comme le précédent, il lance des procédés de composition automatique et aléatoire calculés par algorithmes sur ordinateur.
C'est aux Bell Laboratories que Max Mathews expérimente en 1957 le premier enregistrement numérique de l'histoire, ainsi que la première synthèse sonore assistée par ordinateur (associé notamment dans sa découverte avec John R. Pierce et Newman Guttman). Mathews utilise alors le logiciel Music I. D'autres versions suivent jusqu'à Music V en 1968, qui permet le traitement en temps direct et qui va connaître une certaine postérité. En 1970, Mathews conçoit en association avec Richard Moore le système GROOVE (Generated Real-time Output Operations on Voltage-controlled Equipment), système de contrôle gestuel en temps réel de synthèse sonore reposant sur les dernières innovations en la matière issues des années soixante. Appareillage hybride, GROOVE pilote numériquement des synthèses analogiques (un procédé amené à se généraliser dans les années quatre-vingt/ quatre- vingt-dix).
Alors encore balbutiant avec les essais de Mathews, l'enregistrement numérique est appelé à devenir la technologie dominante à partir des années quatre-vingt. Sur le marché du grand public, le CD audio et son lecteur seront commercialisés à partir de 1982. Les avantages du son numérique sont évidents : l'enregistrement ne se dégrade pas au cours des relectures multiples, la reproduction peut être infinie et elle est totalement fidèle, le montage et le traitement sont rendus beaucoup plus aisés via l'ordinateur.
Il faut aussi signaler que ces mêmes laboratoires Bell sont à l'origine de la découverte du transistor en 1948, composant électro- nique susceptible de remplacer les imposantes lampes dans l'amplification, et qui sera donc fondamental dans la miniaturisation progressive des circuits électroniques.
Le RCA Synthesizer: première station de travail complète
En 1952, ce sont les laboratoires de la firme RCA qui développent le RCA Synthesizer (Mark I puis Mark II en 1958), machine gigantesque conçue par Harry Olson et Herbert Belar. Le jeu se base sur un clavier alpha-numérique qui permet d'entrer les données qui sont codées sur un ruban perforé. Ce principe ancien a déjà été utilisé dans le cadre du piano mécanique, qui fait jouer des partitions ainsi codées via un système pneumatique, un instrument qui a connu un grand succès dans la première moitié du siècle (surtout le Pianola, inventé en 1895 par Edwin Scott Votey). Le RCA Synthesizer est directement relié à un graveur de disques pour enregistrer le résultat sonore. La chaîne programmation /synthèse /interprétation/ fixation préfigure ce que permettra plus tard l'informatique musicale: une véritable station complète (de la conception des sons à leur diffusion, en passant par leur orchestration et leur jeu).
À l'origine destiné à reproduire de la musique populaire, ce synthétiseur inquiète la Fédération Américaine des Musiciens lors de sa présentation en 1955, car cette dernière se méfie d'une potentielle concurrence. Des discours de ce type, hautement paranoïaques, se retrouvent encore aujourd’hui! Les compositeurs Milton Babbitt, Vladimir Ussachevski et Otto Luening seront fascinés par ses possibilités et mèneront des expériences de composition dans le cadre d'une association entre l’Université de Princeton et celle de Columbia, fondant le laboratoire Columbia-Princeton Electronic Music Center en 1959 (la fondation Rockfeller leur a attribué une subvention de 175 000 $ nécessaire à l'achat du Mark II).
La suite tout bientôt
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